GOVIGNON(S)
« Etre dernier me convient »
Si l’on croise un Govignon (Morgan) dans le paddock, en principe l’autre (Jessy) n’est pas très loin derrière.
Ces deux-là sont inséparables. Jumeaux ?
« Non, répond Morgan, nous avons 25 kilos d’écart ». Jessy renchérit : « et quelques kilomètres/heure aussi ».
Chez eux, la moto et la course se vivent en famille. Depuis toujours. « Nous avons grandi dans un sidecar, les parents sur la moto, les enfants et le chat dans le panier. » C’est ainsi que Morgan et Jessy ont vécu leur premier TT, en 1997. Jessy n’avait pas encore six ans. Les deux frères avaient trouvé les merveilleux billets de bateau dans leurs chaussons, sous le sapin de Noël.
Aujourd’hui, Jessy (juriste doctorant de son état) fait la mécanique pour Morgan sur les courses. Trois sont au programme en 2019 : il y eut Alès pour la licence, le TT pour l’exception, et le prochain rendez-vous les conduira aux Antipodes à Noël. En hommage à Mig, Morgan courra en Nouvelle-Zélande sur une Voxan. « C’était le rêve de Fabrice. Je veux le réaliser pour lui. »
Au fond, Morgan a quelque part en lui cette vocation : toucher du doigt les chimères, les rendre palpables et accessibles. Et par-dessus tout, partager. Femme, enfants (une fille et un petit gars), frères, copains de toujours, et parents le plus souvent possible, vivent la course avec lui. « Elle unit tout le monde. Je ne me vois partir sans eux. Il est déjà difficile de bien transmettre ce que je ressens sur la moto. Là, au moins, chacun vit et ‘’fait’’ son TT. »
Si Jessy, gamin, chronométrait Morgan sur la Mobylette, la compétition n’était pourtant pas inscrite dans la culture familiale. Par bonheur, il n’était pas interdit de rêver. « Aujourd’hui, je me dis que je viens chercher un truc auquel un enfant de prolétaire, a priori, n’a pas droit. Avec le TT, nous sommes dans l’exceptionnel, et je tiens à ce que mes proches y soient aussi. Avec moi. »
Morgan Govignon nourrit plus de désirs que d’ambitions. Il s’émerveille et rit de voir « des manouches comme nous » au départ de la plus célèbre course moto du monde. Sur le Mountain Course, il a monté ses premiers pneus neufs de l’année ! «Dernier de la course est une position qui me convient. Je joue à mon niveau, confie-t-il. Je n’aime pas me battre contre les autres. Je n’aime pas les gens agressifs. Je n’aime pas rouler sous la pluie. En tout, le TT me plaît et me va ! »
DROLE DE FIN DE TT POUR JULIE
Julie a quitté son pilote à Rhencullen...
PAS DE QUESTIONS SANS REPONSES
FRANK CLAEYS
Pour son cinquième TT (le premier comme passager d’Estelle Leblond) Frank Claeys reste sur sa faim, à l’instar de sa pilote. Mais il a toujours le sourire et rien ne semble entamer sa bonne humeur.
-A quoi passez-vous le (mauvais) temps toute la journée ?
-Quand tout va ‘’bien’’ et qu’on espère courir, on va aux vérifications techniques. Et puis c’est annulé, alors on bichonne encore le sidecar. L’autre jour, on avait monté un moteur neuf pour la course, et il a cassé. Donc ensuite, on s’est occupés à remonter l’ancien !
-Ce doit être épouvantable pour les nerfs…
-Oui. Mais nous sommes tous dans la même galère. Même les organisateurs. C’est dur et frustrant pour tout le monde. Pour les spectateurs aussi.
-Comment êtes-vous devenu l’équipier d’Estelle Leblond, l’une des meilleurs sidecaristes du TT?
-En fait, c’est elle qui a pris contact avec moi. Elle m’a appelé cet hiver, quand son passager a été victime d’un accident du travail. Et moi, je n’étais pas chez moi ; je n’ai pas lu mes e-mails pendant deux semaines. Estelle s’inquiétait. Quand j’ai trouvé son message, j’ai fait un saut de joie : c’était une opportunité géniale pour moi. Je l’ai tout de suite appelée. On a fait un premier roulage à Lurcy-Lévis. Et on a enchaîné les premières courses. Au Mans et à Nogaro. (A chaque fois, ils terminent premiers F2 ; à Nogaro, Estelle bat le record du tour F2 qu’elle détenait déjà)
-Vous avez déjà roulé avec plusieurs pilotes différents. C’est un avantage ou un inconvénient ?
-Si on s’adapte facilement, je pense que ça peut être un avantage. C’est de l’expérience accumulée. Là, je ne suis pas encore content de ce que j’ai fait, de ce que j’ai pu apporter à Estelle, parce qu’on a trop peu tourné.
-Quand on vient au TT avec un nouveau pilote, même si vous aviez déjà couru sur circuit ensemble, j’imagine qu’il y a tout à redécouvrir sur le Mountain Course…
-Oh oui oui. C’est ça. Le TT c’est quelque chose à part. Je m’étais un peu familiarisé avec le sidecar de Sam Gache, mais pas assez. En roulant ici, par exemple, je me suis aperçu que je gênais le pied gauche d’Estelle avec mon corps. Je bouge trop, aussi. Certains pilotes attendent du passager qu’il remue plus ou moins ; ça dépend aussi de l’équilibre de la machine. Avec Estelle et son sidecar, plus je suis sobre et ramassé, mieux c’est.
-Vous aviez fait un repérage vidéo au préalable ?
-Non. Je ne le souhaitais pas. Si je regarde des images de caméra embarquée, je risque de me faire une idée fausse de la réalité. Je préfère ‘’voir’’ de mes yeux, sur la piste. Voir et ressentir en même temps. Prendre mes propres repères. Estelle freine tard. Le premier tour avec elle, j’ai toujours gardé les yeux sur la route, pour assimiler toutes les sensations, enregistrer le parcours avec le regard et le feeling.
-Vous semblez avoir une sacrée condition physique…
-Oh oui, je m’entraîne beaucoup. Entre autres, je fais du solo. (et il conclut dans un rire joyeux) Soit on fait les choses sérieusement, soit on ne les fait pas. »
LA DECEPTION DES NEWCOMERS
JULIE GROSSET (Sidecar)
A 38 ans, cette jolie maman de trois enfants avait tout misé sur le TT, qu’elle devait disputer en tant que passagère du sidecariste anglais Mark Saunders.
« Je me suis préparée toute l’année comme une malade ; quatre fois par semaine, je faisais de l’entraînement sportif, quitte à laisser un peu de côté ma vie de famille. J’ai préparé en même temps le concours de professeur des écoles. J’étais reçue à l’écrit, et devais passer l’oral… Mais l’oral c’était hier (le 4 juin) et j’étais sur l’Ile de Man. Donc tout est à refaire. Vraiment, ce TT aura représenté un an d’investissement à tous les niveaux. Je suis venue passer sur l’Ile deux week-ends, rendus obligatoires par l’ACU pour des questions d’assurance. C’est Lee Cain qui me servait de guide pour me montrer le parcours. J’ai couru à Caldwell Park et Brands Hatch pour avoir le nombre d’épreuves requis.
Je voulais être à la hauteur de l’enjeu du TT, tout en ayant la crainte de ne pas être au niveau. Je me suis préparée psychologiquement à plein de choses, y compris l’accident. Et je reviendrai, c’est sûr. Mais en attendant, quelle déception et quelle frustration ! » De fait, son équipage ne s’est pas qualifié. En tout et pour tout, Saunders et elle n’auront pas bouclé plus d’un tour d’essais.
« Nous espérions en faire cinq mercredi. Au fil de la journée, le programme a été réduit à deux, puis un… Et au final ce sera zéro. »
Si Julie invoque des soucis techniques lors des premiers essais -tour à tour un problème de freins, puis de sélecteur de vitesse et enfin le châssis qui ne convenait pas à son pilote- le paddock est un peu plus bavard au sujet de Mark Saunders qui, tout simplement, se serait fait peur sur le Mountain Course, et n’aurait pas achevé ses tours. En soi, rien de honteux, mais il eût été plus honnête, plus fair-play et surtout plus courageux de l’avouer. Il en serait même sorti grandi.
Pour être officiellement qualifié en tant que Newcomer, explique Julie, il faut avoir effectué 4 tours d’essais, dont un à moins de 115% du temps du troisième équipage.
« Je suis déçue, mais tout de même heureuse d’être là, sur l’Ile de Man. J’en ai tellement rêvé. Et puis j’ai rencontré mon héros Dave Molyneux et j’ai pu discuter avec lui. »
Donc elle reviendra en 2020, c’est décidé. Avec son compagnon Eric Lenser, qui s’est déjà aligné plusieurs fois au Manx Grand Prix en solo, et connaît le tracé. « C’est notre objectif à tous les deux. Nous ferons le TT ensemble ».
JONATHAN GOETSCHY (Solo)
Le pilote français n’est pas n’importe qui : 4 fois Champion de France de course de côte, Vice-Champion du monde d’Endurance (en stock), 4e au Championnat IRRC 2018 (en ayant manqué deux courses) avec plusieurs podiums et une victoire en République Tchèque. Le TT était le rêve de sa vie. Il était prêt à s’y aligner trois ans, afin de se construire l’indispensable l’expérience préalable à toute ambition sérieuse. Apprendre et montrer son potentiel…
Il s’était dit qu’en 2019, il parviendrait à boucler une trentaine de tours. Mercredi soir, à cause de ces fichues conditions climatiques, il culminait toujours à treize.
« J’avais prévu de courir d’abord le Manx. Je m’étais donc inscrit pour le mois d’août. Et Bruce Baker (un des directeurs de course pour le TT) m’a invité à disputer le TT, sans passer par le Manx comme on le fait d’habitude quand est ‘’Newcomer’’. Il jugeait mon palmarès suffisamment éloquent pour me faire venir. Je me suis retrouvé sous la ‘’protection’’ de Milky Quayle, chargé de former les nouveaux et de les préparer au mieux. Fin janvier et fin février, je suis venu à l’Ile de Man pour apprendre. Deux week-ends entiers avec Milky, qui m’a emmené sur le parcours en voiture. Son enseignement est méthodique, bienveillant et minutieux. Il est arrivé que nous nous attardions un temps fou sur le même virage ; nous sommes passés jusqu’à dix fois dans la même courbe. C’était formidable, mais avec ces conditions météo, aujourd’hui quelle déception ! »
Ce que Jonathan ne dit pas, par pudeur, c’est le nombre de sacrifices consentis cette année. Ne pas renoncer à son rêve, en dépit des réticences et des craintes de sa fiancée. Ne pas hésiter à engloutir ses économies : entre les préparatifs et le déplacement final, il a probablement investi entre 8000 et 10 000 euros...
Dans un sourire modeste, il dit simplement : « je préfère ne pas compter. Mais je dois en être à 500 euros du tour ». Il en a bouclé douze à la date de mercredi soir (5 juin)
« Pour retenir le côté positif, je dirai que je suis déjà content d’être qualifié ! Parce que, lorsque j’ai fait le stage de Newcomer à moto, je voyais un débutant Irlandais qui enchaînait les virages sans problème. S’il n’avait jamais couru ici, il connaissait toutefois le tracé ; il y avait déjà roulé. Tandis que moi, je suivais le marshal à un rythme soutenu, sans savoir si ça tournait à droite ou à gauche. Donc être qualifié dans ces conditions, c’est une satisfaction. Je suis venu avec une seule moto (600 Yamaha) pour ne pas me disperser, et je pense que c’était à la base une bonne option. »
Encore sous le coup de la désillusion, Jonathan fait le bilan : il a 34 ans, 18 ans de compétition moto -at autant d’années d’abnégation. Il travaille tout seul, tant pour préparer ses machines que pour régler toutes les questions administratives (inscriptions, assurances, recherche de partenaires, etc.) .
Il n’a personne pour ‘’vendre’’ son talent auprès des teams.
Mais il jouit d’une belle image auprès de ses coreligionnaires : son palmarès et son humilité invitent au plus grand respect, voire à l’admiration.